2007-06-24

Philosophie et vie libertaire

(Je reprends ici un texte que j'ai écrit il y a un certain nombre d'années qui me semble encore aujourd'hui exprimer les fondements de la pensée qui s'est développée à travers ma vie, mon corps...)

Territoires solaires, les êtres humains sont toujours à la fois seuls et en commun dans leurs énergies passionnelles. Espaces de solitude et de communauté. Solitudes en partage. Politique des êtres. Libertés affectives. Engagements éthiques et d'existence. Histoires de vies et de construction. Lieux et instants émotifs et créatifs.

Nous devons réinventer un monde d'individus égaux (de fait et non seulement en droit) qui veulent vivre toute l'étendue sublime de leurs souverainetés individuelles et sociales, ensemble.

Avant toute chose, l'existence doit être célébrée et glorifiée. Cela implique que nous refusions toutes les entraves qui se posent à la richesse des vies intenses. Cela suppose que nous luttions contre toutes les formes de domination qui rendent impossibles nos solidarités, nos égalités et nos libertés. Pour réaliser cet idéal de souveraineté pleine et entière des individus et de leurs communautés, nous avons à vivre une révolution permanente contre tous les types de hiérarchies et de soumission.

De la philosophie comme effort d'humanité

La philosophie tient comme activité de nomination du monde, de la vie, de l'expérience, de l'existence, etc. Elle est réflexion, expérience et concepts. Elle est le contenu de pensée de la vie humaine. Elle est à la fois herméneutique et éthique, clarification conceptuelle et politique, sagesse idéelle du monde et existence. En ce sens, la source vive de la philosophie est toute expression de la pensée humaine : art et science, vécu quotidien et expériences spirituelles, histoire des cultures et des vivants... Aucune philosophie en soi n'est vraie. Toutes les philosophies sont relatives et offertes à la critique. Mais elles sont vitales et elles demeurent, même dans leur disparition ou leur discrédit, des témoignages de sublimes efforts d'humanité. Et, contrairement à ce que pensait Nietzsche (du moins à ce que dit l'interprétation canonique de ses exégètes patentés), il m'apparaît que la seule forme de surhumanité qu'il puisse exister n'est qu'une humanité de plus en plus libre, solidaire, énergique, affirmative et créative.

Même des individus anéantis

Se défaire en détruisant tout ce qui tend à vouloir se faire permanence structurante, structure permanente. Brûler même ce qui en nous veut se faire norme. Transgresser, mais absolument. Dans l'amour festif, le vivre anti-identitaire comme affirmation brute, sans concession et sans nom des forces largement indescriptibles de l'existence ivre, extatique, sauvage, délirante et commune. Jouir des espaces vides qui se remplissent de nos créativités, de nos imaginations vivantes, qui périssent toujours de l'effacement, de l'impermanence. Êtres toujours néantisés dans la chaleur cosmique des puissances souveraines des désirs exaltés, corps-sexes anéantis par leur volcanique ardeur périssante. Communisation libertaire indéfinie, incendiaire, périssable, mortelle...

Une philosophie solaire

Ma philosophie est solaire. Elle veut la conciliation pour tout instant de vie des énergies et des forces internes à l'existence avec le vécu le plus quotidien. Quotidien exalté : exaltation orgiaque des puissances vitales. Affirmation des esprits, des corps et des chairs réaffirmés dans leur pleine et vive solidarité ainsi que célébration de leur intersubjectivité sociale globale dans un monde libre, non-administré, non-géré et non-dominé. Pour une déstructuration permanente désintégratrice de tout cancer gestionnaire. Des structures d'existence mais qui se désintègrent toujours pour ne laisser se jouer que la souveraineté festive des subjectivités vitales-créatives, des imaginaires vivants. Pour des situations de vie toujours exceptionnelles !

L'acte de philosopher, ou de penser dans un sens plus large (quoique dans mon esprit penser et philosopher forment une même activité), se doit d'être un acte de vie libre. Il doit être développé dans l'esprit critique et révolutionnaire des individus qui se battent pour leur pleine indépendance individuelle et collective. Il doit permettre de penser les exquises possibilités de nos existences et d'appréhender ce qui est à combattre pour les réaliser. Il doit replacer en son centre la volonté de tous de vivre pleinement dans la communauté amoureuse avec les autres. Il doit permettre de voir la beauté commune (les formes belles de la vie), de la réaliser et de l'étendre. Pour l'ivresse globale et continuelle de vivre des individus et de leurs communautés ! Pour la révolution permanente !

Alors, encore une fois, comment penser la philosophie de l'existence de cette multitude d'êtres souverains ? Comme l'écriture permanente des vies exquises et l'appréhension de ce qui les empêche ! Comme la nécessité des luttes révolutionnaires pour étendre nos souverainetés, nos égalités, nos extases et nos éblouissements ! Comme l'imagination libertaire des formes solidaires, indépendantes et sublimes de la vie !

Plaidoyer pour la vie vive et sauvage

Il m'apparaît que l'attente soutenue d'un programme, d'un "que faire ?", et l'attachement à une identité centralisée en soi-même qui s'appelle l'individu ne sont que des fuites en avant face à l'angoisse d'une liberté à la fois pleine et vide ( qui a un certain contenu mais qui est choisi à tout instant de façon impermanente), qu'une dénégation de la souveraineté de la vie. Pour qu'une révolution opère de façon permanente et radicale à chaque fois, il me semble qu'elle doit se fonder sur une vie libre, toujours libre. Une vie qui ne s'attache à aucun principe et à aucune identité. Une vie qui se donne les conditions de son renouvellement permanent, d'une vie qui ne se résorbe pas dans un programme ou dans une programmation (pour quelque chose, pour quelqu'un...), dans une structure ou dans une structuration (la possibilité même d'une fabrication de structures). C'est pourquoi il m'apparaît que la vie doit se défaire de toute structure, autre qu'elle-même dans toute sa brutalité innommée, innommable comme espace frayé par des forces infinies de vie et surtout toujours insoumise. Que la vie doit se défaire de tout ce qui veut la restreindre et la cloître pour un instant ou pour toujours dans un ordre quelconque fusse-t-il celui de l'autogestion généralisée. Orgiaque, festive, commune, libre, spontanée, que la vie fuse et fuse, sans arrêter, dans une éternelle explosion de joies nimbées de souffrances ! Vivons de toutes nos intensités "déchaînées" ! Soyons simplement de cette vie qui s'éclate dans tous les pores de notre peau, dans le monde et ailleurs ! Vivons nos désirs, imposons leurs mondes, existons ensemble dans la commune célébration de tout ce que nous choisissons, de tout ce qui est beau et bon !

Le futur planifié est une programmation. Alors qu'il faudrait, pour re-poser de façon permanente la question des êtres des désirs renouvelés et multipliés, bouleverser les événements en les contaminant par la curiosité, par la provocation, par la création de situations particulières. Contaminer les êtres dans leurs vies et leurs pensées par le dialogue de la présence, du désir et de la critique.

Art et vie ne font donc plus qu'un. Et l'univers entier vient s'y jouer comme le résultat d'un parti pris d'être. Le monde y est risqué comme choisi à tout instant. Il est fait dans nos pleines libertés.

La mort du couple

Le couple est mort. Nous sommes des individus amoureux intensifs et permanents. Nous vivons de nos présences communes. Nous les savourons souverainement. Nous sommes ensemble dans nos désirs et nous les aimons. Nous nous aimons. Libres dans nos êtres globaux et heureux !

Contribution au questionnement sur la révolution comme lutte des classes

Comment être révolutionnaire au-delà d'une agitation au nom d'idées construites par la pensée des intellectuels révolutionnaires ? À mon avis, cette question en est une de base pour poser de façon radicale et révolutionnaire la question d'une classe ou d'un groupe révolutionnaires. Les révolutions historiques ont été faites selon les idées de qui ? Des Lumières, de Marx et de ses descendants critiques ou non, de penseurs anarchistes comme Bakounine, Proudhon, Malatesta (qui avait un statu de penseur anar au-delà de sa condition de travail), etc. C'est dire que les révolutions ont été conduites au niveau idéologique par des individus particularisés dans leur classe ou non. Les autres qui y ont adhéré ont-ils imposé leurs désirs profonds et leurs idées personnelles ? Ont-ils pu agir de façon autonome ? Il me semble que non ou enfin très peu. Il y a eu des révolutions au nom de la bourgeoisie, au nom du peuple, au nom du prolétariat... Mais des révolutions de la bourgeoisie, du peuple et du prolétariat conçus comme classes collectivisées et collectives ou non, pas vraiment. En fait, elles ont existé mais ordonnées par des critères idéologiques et/ou critiques pensés par des particuliers. Il n'y avait pas là d'autonomie particulière des collectivités. On parle plus de révolutions marxistes, léninistes, maoïstes, etc. Des penseurs ont pensé, des leaders formels ou informels ont conduit, des peuples ou des communautés ont fait. Voilà une recomposition d'une triade penseurs/gestionnaires/exécutants. Cette triade n'a jamais vraiment sautée. Et ceux qui encore pensent comme intellectuels à la révolution d'un groupe dont ils se particularisent ou sont particularisé la refont aussi. Alors, l'autonomie révolutionnaire meurt avant de naître. Alors, pour nous, l'anarchie se structure et se cadrille avant de vivre, de naître. Nous concevons les idées, les organisations et autres dans lesquelles notre orgueil espère que les autres se reconnaîtront, à lesquelles, nous espérons, ils adhéreront. Où est la liberté et la créativité de chacune et de chacun là-dedans ? Où pouvons-nous espérer cette révolution vive et commune qui se jouerait à tout instant dans la souveraineté égalitaire de toutes et de tous ? Je pense personnellement qu'en revenir à nos désirs individuels et à leur réflexion dans la communauté révolutionnaire-désirante en serait une base. Cesser de penser pour "les autres", pour "notre classe", pour "le prolétariat" ou tout autre groupe que nous voulons définir en serait une autre. Ne pas impliquer d'avance une légitimité qui nous viendrait d'intérêts dits communs avant d'être réfléchis justement communément (de façon large et non seulement dans des rencontres d'individus particuliers et particularisés) en serait une aussi. Mais qui d'entre nous, nous implique la personne qui parle, est assez humble pour commencer ? Qu'en pensons-nous au-delà de nos affirmations vives et personnelles ? Beaucoup diront qu'ils y sont déjà, mais réfléchissez encore et surtout dialoguons !

Alors, encore une fois, comment penser la philosophie de l'existence de cette multitude d'êtres souverains ? Comme l'écriture permanente des vies exquises et l'appréhension de ce qui les empêche ! Comme la nécessité des luttes révolutionnaires pour étendre nos souverainetés, nos égalités, nos extases et nos éblouissements ! Comme l'imagination libertaire des formes solidaires, indépendantes et sublimes de la vie !


2007-06-05

L'extase d'existence et la contrainte


L'insurrection est vive en moi et le monde est contrainte. Je n'arrive pas à concilier l'extase d'existence qui me fait avec les déterminations étroites d'une vie dominée. Je me brise d'ardeur non accomplie.

Try to set the life on fire ou de l'extase

Je ne peux vivre dans la contrainte imposée. Elle est assassin. S'insurger ne veut pas simplement dire se battre, s'organiser, vivre dans la rupture sociale productive, ça veut aussi dire aimer, se laisser incendier par nos désirs, par nos plaisirs, se libérer à chaque instant de ce qui nous domine, se livrer à l'ivresse de vivre, à l'extase qui nous traverse, à la nature vivace en nous et en dehors de nous.

De la dialectique révolutionnaire

Si l'analyse des situations historiques apparaît absolument essentielle ainsi que la théorisation critique des mouvements sociaux de contestation, c'est aussi pour y dégager les pratiques en ruptures et délaisser celles qui s'intègrent dans le spectacle militant qui ne sort pas des cadres établis par la reproduction du capitalisme à l'envergure planétaire.

Il existe une théorie critique essentiellement négative qui parfois se fait critique pertinente mais ne débouche presque jamais sur le versant affirmatif/révolutionnaire de la dialectique. La dialectique révolutionnaire est toujours le négatif du refus de la domination, de l'exploitation, des contraintes qui nous minent, mais aussi l'affirmatif des pratiques de réappropriation du pouvoir populaire, de la création sociale-historique, de la communisation...

Toute praxis révolutionnaire y puise son imaginaire vivant, son renouvellement, sa dynamique constructive...

2007-06-04

Insurgeons-nous sauvagement !

La gauche, syndicale en particulier, a le même horizon que la droite capitaliste. Les patrons et les gouvernements exploitent et la gauche ainsi que les syndicats essaient de gérer les conditions de l'exploitation. C'est toujours le même mouvement vers l'exploitation généralisée. À peu près rien ne sort de cette condition. Même le syndicalisme de combat (au Québec : ASSÉ, RSTT...) s'inscrit dans cette perspective qu'elle ne fait souvent que reproduire malgré ces pratiques d'action plus directe. Dans ce cadre, pas étonnant que la droite plus efficace, pragmatique et surtout plus puissante, ne cesse de triompher. Il serait temps de reprendre une réflexion fondamentale sur les conditions des actions de ruptures avec l'économie globale spectaculaire-marchande, financière... À certains endroits du monde, il existe encore des grèves générales d'envergure insurrectionnelle, des occupations, des blocages, des réappropriations de terres, d'usines, d'entreprises, de bâtiments, de moyens de vivre et de produire... Il me semble que cette perspective demeure une des seules significatives dans la guerre populaire contre le capitalisme et la domination en général.

Ici au Canada, à peu près seuls les Mohawks et autres insurgéEs natives semblent pratiquer ces actions de façon récurente. Ils font vivre ce qu'est une réelle guerre du peuple dans ce territoire colonisé en anglais comme en français.

Insurgeons-nous sauvagement !

2007-06-02

De la vie

(Texte écrit pour une amie il y a déjà un certain temps que je reprends ici)

je t’écris mes réflexions des dernières jours et des dernières heures qui furent des moments personnels de chute profonde dans l’abîme du désespoir et dans la renaissance de la puissance d’être et de faire. Je sens ces moments de vie de manière récurrente, mais ça progresse tout de même en continuité vers la sérénité de la création historique. En ce moment, je suis dans une joie sereine accompli comme être historique. Je sors du visionnement du film de Debord dont le titre français est Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu.

Mon existence fut marquée par la marque profonde et indélébile des déterminations capitalistes, patriarcales… qui fit dans la destruction le monde de mon enfance, de mon adolescence et qui continue aujourd’hui, mais j’acquiers de plus en plus la puissance d’y faire face, de les combattre et de créer. C’est d’abord par la passion d’être et par la force vive de l’existence que j’ai su affronter la détresse infinie, la solitude qui peut paraître insurmontable, les idéations suicidaires, l’envie si puissante d’en finir…

J’aurais pu être un imbécile heureux, un pacifié, un être domestiqué par les déterminations du monde autoritaire et me contenter de survivre dans une vie facile et docile qui poursuit l’œuvre de destruction historique engendrée par les différents systèmes de domination. Mais le combat s’est imposé et la création avec lui. Ce que j’ai perdu et continu de perdre en confort m’est redonné au centuple par une vie de passions effrénées. C’est beaucoup plus dur mais tellement plus enivrant. Je suis comme un bateau ivre.

La vie est belle. Le film de Benigni qui porte le même nom malgré la conjoncture historique de la tragédie dont il rend compte en est une de ses plus belles expressions. Si ce cinéaste a réussi à transformer l’innommable de la barbarie en un hymne à la vie, c’est qu’il y a quelque chose d’incommensurable dans cet univers malgré tout.

En fait, tout ce que je t’écris en ce moment est profondément viscéral. Ce n’est pas une forme d’optimisme ridicule. C’est un constat que l’histoire fait violence mais que néanmoins la vie demeure magnifique. C’est bon de se le rappeler dans les moments de détresse.

Tout comme moi, tu aimes Heidegger et la poésie. Je me rappelle nos discussions intenses sur le sujet. Je finirai donc cette lettre par deux citations qu’il fait d’Hölderlin.

''En poète, l’homme habite sur cette terre.'' (Hölderlin) (la femme aussi aurait-il dû ajouter)

''Mais là où il y a danger, là aussi
Croît ce qui sauve (Hölderlin)''


De la vie

L’intensité de chaque moment est tellement puissante en moi que je le vis comme le dernier, comme la dernière fois que j’éprends la vie, que la vie m’éprend.

This is the End Each Time

Je veux entrer dans l’azur pour y être infiniment extasié d’amour. Je veux me fondre dans les étoiles. Je veux me perdre dans l’ivresse. Je souhaite faire corps avec les pulsations de l’univers. Que l’essentiel de moi-même soit épris par le néant céleste. Jouïr de tous mes sens affectivement comme dans un dernier délire qui se poursuive... être dans le chant vivant de Dionysos, dans cet hymne infini de la vie.

Que la nature s’extasie à travers moi comme un réceptacle de sa beauté et que celle-ci s’écrive pour se communiquer, se transmettre, se vivre...

Inouï dans l’infini comme le battement d’une chair transie par la sensualité de l’exquis, par la volonté de puissance, par l’Eros continue. De danses et de musiques qui risquent à chaque fois ma perte, mais que celle-ci se fasse création testamentaire comme une transformation de la vie qui incendie, bouleverse et fait surgir de nouveaux mondes, de nouveaux sens, de nouvelles expérimentations, du nouveau vital dans la majestueuse nature éternelle, que s’y écrive l’histoire à chaque instant.

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Ô mon amour, je veux écrire l’histoire avec toi.