(Je publie ici un commentaire que je trouve particulièrement intéressant et avec lequel je suis profondément d'accord. Ce commentaire vient à la suite de mon commentaire sur le texte de Joe Black qui porte sur les tendances insurrectionnelles de l'anarchisme.)
La guerre de 1936 en Espagne me semble être une bonne référence pour cette question. La spontanéité et la vitesse de la réaction des anarchistes de la CNT et des membres du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxistes). -ou autre groupe marxiste anti-staliniste- face à la déclaration de Franco a été décisive dans la mise en place d'une résistance armée qui associe à la guerre la mise en place d'un processus révolutionnaire, insurrectionnel, et non pas la simple volonté d’un retour à la démocratie capitaliste bourgeoise, ou bien une dérive vers un capitalisme d’Etat. La communisation des moyens de transports, de l'industrie et des terres, tout comme l'acquisition des armes gouvernementales pour la création des milices, est principalement due au caractère spontané de l’organisation de la résistance par les ouvriers anarchistes et les membres du POUM. C’est la décentralisation de l’organisation de la lutte dans les comités locaux et les milices qui a permis la libération du processus révolutionnaire que voulait brider le PSUC (communistes et socialistes), le gouvernement républicain et certains membres moins radicaux de la CNT. Cependant, rien de cela n’a engendré l’isolement de chaque ligne politique, et c’est dans une étroite association, principalement, entre la CNT et le POUM, qu’a été mise sur pieds la résistance en Aragon, où ne combattaient la première année que des miliciens, vivant ensemble au front l’expérience fraternelle de nouvelles intensités.
Mais il n’a fallu que quelques mois aux socialistes pour récupérer toutes les parcelles du pouvoir qui s’était dissous dans les organisations ouvrières,
pour empêcher la révolution.
Cela montre bien comment toute organisation – que ce soit le PSUC ou la CNT- définie au préalable risque fatalement de reproduire les rapports dominants néfastes au processus révolutionnaire, et s’insérer dans une logique capitaliste.
“Anarchist communists can certainly learn from insurrectionalist writings but solutions to the problems of revolutionary organisation will not be found there.”
Contrairement à Joe Black, je serai plutôt tenté de croire que s’il y a bien un agencement dans lequel on pourrait entrevoir progressivement des solutions à l’organisation révolutionnaire, c’est celui que peut nous offrir une insurrection.
C’est dans la magie de l’insurrection que se rencontre l’extase généralisée possible de détruire chaque parcelle de pouvoir qui réside en chacun de nous, pour le déploiement de nos mondes.
yoj04@hotmail.com
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1 commentaire:
Suite à ce que j'ai écrit dans ce commentaire, je tiens à rectifier une chose importante sur la critique de la CNT espagnole du début de siècle.
J’écris que c’est la spontanéité et la vitesse de la "réaction" des anarchistes de la CNT qui avait déterminé le caractère insurrectionnel et révolutionnaire de la résistance armée à Franco dans le nord de l’Espagne. Or c’est une erreur de ramener le déclenchement d’un processus révolutionnaire à une simple « réaction » face à un coup d’Etat fasciste. Il est évident que l’insurrection armée du 19 juillet 1936 est l’aboutissement d’un processus révolutionnaire qui s’étale sur des dizaines d’années de lutte et d’organisation ouvrière, phase pré-révolutionnaire qui a mis en place les conditions nécessaires à son propre dépassement. Depuis sa création en 1910 jusqu’à l’insurrection armée de 1936, la CNT a véritablement porté à maturité la Révolution espagnole, grâce à son organisation libertaire et à la volonté infaillible de ses membres. Ainsi, on voit bien que c’est parce que les anarchistes espagnols se sont organisés d’une certaine façon pendant des années qu’ils ont pu, au moment opportun, déclencher une révolution partant de la base, des ouvriers, et non de quelques dirigeants prétendument révolutionnaires séparés du peuple.
Je ne peux imaginer meilleure organisation que celle-là –à ce moment-là, c'est-à-dire dans le contexte qui lui est propre- pour amener une révolution.
Ceci dit, le mode d’organisation de la CNT-FAI était entièrement voué à la stratégie insurrectionnelle, et elle ne prit jamais le risque de définir au préalable les bases d’une société future, d’une organisation révolutionnaire. Au contraire, elle soutenait que c’était uniquement dans le quotidien de la pratique révolutionnaire, dans le parcours vers l’insurrection, que pouvait se dessiner les formes de rapports et d’organisation qu’on pourrait retrouver dans une société communiste libertaire. Dans ce cas, la théorie de ce que pourrait être l’homme dans une réalisation collective est directement issue de sa pratique révolutionnaire. Le plus virulent défenseur de cette position aura été Buenaventura Durruti. C’est donc cette conception libertaire des rapports et de l’organisation dans l’anarcho-syndicalisme espagnol qui a permis le dépassement continuel de ses contradictions internes et externes, pour arriver à la révolution.
On peut alors distinguer ces deux choses :
- l’organisation pré-révolutionnaire libertaire qui se fonde sur l’action directe, et est entièrement dédiée à l’insurrection. On peut y entrevoir, dans les rapports émergeant de l’expérience de la pratique révolutionnaire commune, les germes d’une société communiste libertaire.
- l’organisation révolutionnaire, le fruit qui, mûr de l’insurrection, se détache et tombe. La chute folle que connût Barcelone après le 19 juillet 1936, qu’Abel Paz décrira comme un « immense chaos, mais un chaos qui fonctionnait ».
Ainsi, l’insurrection libère une créativité nouvelle –que pourtant l’homme porte en lui depuis qu’il est homme-, une créativité authentique qui s’exprime spontanément et qui est la base de l’organisation révolutionnaire, son socle.
C’est de cette spontanéité-là dont je parlais au début du commentaire précédent qui peut maintenant être rectifié :
La vitesse et la spontanéité (si l’insurrection armée du 19 juillet 1936 contre le soulèvement fasciste était relativement bien préparé à Barcelone et ailleurs, la résistance qui se mit en place ensuite pour faire face à la guerre, elle, s’est organisée spontanément) de et dans l’action du peuple ouvrier et paysan contre le fascisme de Franco a été décisive dans l’édification d'une résistance armée qui associe à la guerre la mise en place d'un processus révolutionnaire, et non pas la volonté d’un retour à la démocratie capitaliste bourgeoise, ou bien une dérive vers un capitalisme d’Etat. Il me semble que c’est dans cette spontanéité créative libérée par l’insurrection que se trouve la réponse au problème de l’organisation révolutionnaire.
La CNT, ensuite, s’embourba et perdit la révolution en acceptant de collaborer avec les républicains et les socialistes dans le Comité central des milices, pour faire face aux nécessités de la guerre. Certains, dont Durruti, ont dénoncé cette collaboration comme entrave à la révolution en marche, assurant que reporter la Révolution après la guerre, c’était la reporter à jamais, et que la seule façon de gagner cette guerre était d’en faire une guerre révolutionnaire. La CNT bloquée, la Révolution mourût.
Nous avons donc beaucoup de choses à apprendre de l’expérience espagnole de la révolution anarchiste, qui montre bien que toute collaboration, même si c’est par nécessité pratique, avec n’importe quel forme d’organisation qui veut le pouvoir non pas pour le détruire mais le garder étouffe le processus révolutionnaire et lui sera fatal.
Quant à la forme d’organisation de l’anarcho-syndicalisme espagnol qui a amené la révolution, il faut surtout en retenir le caractère radicalement libertaire qui lui a permis d’accoucher d’une révolution, si brève eût-elle été.
Derrière ça, sur le plan concret, on ne peut en utiliser grand-chose étant donné le décalage politique énorme entre les époques dans lesquels nous nous situons respectivement. La stratégie insurrectionnelle dépend du contexte politique dans lequel elle se déploie, et donc la forme d’organisation qui la portera et la réalisera en dépend aussi.
A nous de trouver cette façon de s’organiser qui réponde aux nécessité imposées par notre époque spectaculaire de la séparation généralisée, et qui, se dépassant sans cesse elle-même, pourra essentiellement éviter toute compromission. En bref, comment faire. On ne peut plus compter sur l’anarcho-syndicalisme en ce début XXIe siècle, et personnellement je vois –et c’est un état de parcours individuel qui m’a paru évident- dans les groupes anarchistes autonomes fondés sur l’amitié, et en relation entre eux, la voie la plus intéressante à explorer, à vivre au quotidien. Des micro-communes n’attendant que le jour où elles pourront se retrouver dans la joie d’une commune généralisée par les flammes de la victoire révolutionnaire.
yoj04@hotmail.com
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