je t’écris mes réflexions des dernières jours et des dernières heures qui furent des moments personnels de chute profonde dans l’abîme du désespoir et dans la renaissance de la puissance d’être et de faire. Je sens ces moments de vie de manière récurrente, mais ça progresse tout de même en continuité vers la sérénité de la création historique. En ce moment, je suis dans une joie sereine accompli comme être historique. Je sors du visionnement du film de Debord dont le titre français est Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu.
Mon existence fut marquée par la marque profonde et indélébile des déterminations capitalistes, patriarcales… qui fit dans la destruction le monde de mon enfance, de mon adolescence et qui continue aujourd’hui, mais j’acquiers de plus en plus la puissance d’y faire face, de les combattre et de créer. C’est d’abord par la passion d’être et par la force vive de l’existence que j’ai su affronter la détresse infinie, la solitude qui peut paraître insurmontable, les idéations suicidaires, l’envie si puissante d’en finir…
J’aurais pu être un imbécile heureux, un pacifié, un être domestiqué par les déterminations du monde autoritaire et me contenter de survivre dans une vie facile et docile qui poursuit l’œuvre de destruction historique engendrée par les différents systèmes de domination. Mais le combat s’est imposé et la création avec lui. Ce que j’ai perdu et continu de perdre en confort m’est redonné au centuple par une vie de passions effrénées. C’est beaucoup plus dur mais tellement plus enivrant. Je suis comme un bateau ivre.
La vie est belle. Le film de Benigni qui porte le même nom malgré la conjoncture historique de la tragédie dont il rend compte en est une de ses plus belles expressions. Si ce cinéaste a réussi à transformer l’innommable de la barbarie en un hymne à la vie, c’est qu’il y a quelque chose d’incommensurable dans cet univers malgré tout.
En fait, tout ce que je t’écris en ce moment est profondément viscéral. Ce n’est pas une forme d’optimisme ridicule. C’est un constat que l’histoire fait violence mais que néanmoins la vie demeure magnifique. C’est bon de se le rappeler dans les moments de détresse.
Tout comme moi, tu aimes Heidegger et la poésie. Je me rappelle nos discussions intenses sur le sujet. Je finirai donc cette lettre par deux citations qu’il fait d’Hölderlin.
''En poète, l’homme habite sur cette terre.'' (Hölderlin) (la femme aussi aurait-il dû ajouter)
''Mais là où il y a danger, là aussi
Croît ce qui sauve (Hölderlin)''
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